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Writer's pictureFranck Conroy

Quelques remarques sur la jurisprudence palestinienne de la CNDA

Comme la cavalerie qui arrive toujours à temps, le 12 février 2024, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a rendu une décision au sujet d’un Palestinien de trente-deux ans, originaire de Khan Younès dans la Bande de Gaza, arrivé en France le 17 septembre 2021[1].

 


Peter O’Toole & Anthony Quinn dans Laurence d'Arabie (1962)

L’Office français de protection de réfugiés et des apatrides (OFPRA) avait rejeté sa demande d’asile par une décision du 26 août 2022, que le requérant a contesté par un recours introduit le 15 novembre 2022 et par un mémoire introduit l’année suivante le 11 novembre 2023.

 

Cette décision de la Cour, prise après une audience du 21 novembre 2023, a été accueillie comme une ouverture de la jurisprudence en faveur des Gazaouis. Cette interprétation peut surprendre, dans la mesure où l’on pouvait instinctivement supposer que les personnes originaires de la Bande de Gaza encourrait des persécutions ou des atteintes graves plus souvent qu’en d’autres endroits du monde. Les raisons pour lesquelles il s’agit effectivement d’une ouverture relative de la jurisprudence sont à lire dans les précédents articles de Pro Fugis, ci-dessous :

 

&

 

 

La décision du 12 février 2024 se compose de quatre parties. Tout d’abord, la CNDA a estimé, à l’égard de Monsieur A, qu’il était bien originaire de Khan Younès et que ses parents ni lui n’avaient jamais été enregistrés auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, UNRWA). Dès lors, il était possible de procéder à l’analyse de ses craintes sans achopper sur l’écueil de la protection préalable et de l’irrecevabilité.

 

Ensuite, la nationalité et plus spécifiquement, le pays au regard duquel les craintes ont dû être analysées, ont fait l’objet de développements concis et orthodoxes. S’il existe bien des dispositions établies par l’Autorité palestinienne en vue de déterminer la citoyenneté palestinienne, en l’état du droit international et de la situation interne aux Territoires palestiniens, la nationalité palestinienne n’existe pas par elle-même.

 

A défaut d’une nationalité au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ou de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), qui transpose notamment la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, dite « Qualification », il a fallu se tourner vers les autorités du lieu où il réside habituellement. Ainsi, comme le requérant est originaire de Khan Younès, l’Autorité palestinienne et en particulier le Hamas sont les autorités qui exercent les prérogatives liées au pouvoir dans les gouvernorats de la Bande de Gaza, donc les autorités au regard desquelles les craintes de persécution du requérant doivent être examinées.

 

La nature de la demande a voulu que le requérant se prévale de craintes de persécution justement au regard du Hamas, en raison d’une rixe et de l’expression d’opinions politiques favorables aux rivaux politiques du Hamas, le Fatah. Les juges ont estimé que les faits fondant ses craintes de persécution n’étaient pas établis. La question du statut de réfugié a donc été rapidement écartée.

 

En revanche, la question du bénéfice de la protection subsidiaire a fait l’objet de longs développements, typiques des décisions classées reconnaissant une nouvelle zone de violence aveugle d’intensité exceptionnelle découlant d’un conflit armé. La CNDA a qualifié la situation à Gaza de « crise humanitaire sans précédent » et a énuméré de nombreuses raisons pour lesquelles est tenue pour établie l’impossibilité pour un civil de se maintenir à Gaza sans subir une atteinte grave du fait du conflit.

 

A la suite de ces développements, la CNDA a annulé la décision de rejet de la demande d’asile de Monsieur A prise par l’OFPRA et lui a reconnu le bénéfice de la protection subsidiaire.

 

 


La question de l’autorité de protection

 

Malheureusement, la question de l'autorité de protection n’a pas été réglée par la CNDA au sein de la décision du 12 février 2024, elle a simplement été remisée.

 

Comme vous pourrez le lire dans les articles précédents sur Pro Fugis, la question de l’autorité responsable de la protection du réfugié doit être réglée afin de déterminer sa défaillance et la nécessité de recourir au mécanisme de la protection internationale.


En l’espèce, la nationalité du requérant a fait l’objet de longs développements pour écarter les doutes quant à son origine et ainsi, « sécuriser » l’application de l’article L. 512-1 3° qui a permis à la CNDA de lui reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire.

 

En amont, la CNDA avait estimé crédible que le requérant n’ait jamais bénéficié, non plus que sa famille, des services de l’UNRWA. Ce faisant, la question de l’autorité de protection a été écartée d’emblée et permettait d’examiner les craintes du requérant.

 

Si l’on peut sincèrement s’en réjouir pour le requérant, il demeure que la question de la recevabilité d’une demande d’asile d’une personne qui a, effectivement, bénéficié par le passé de l’assistance de l’UNRWA n’est pas réglée et peut constituer un obstacle à sa protection. Comme décrit dans les articles précédents, si l’UNRWA est considérée comme une autorité susceptible d’offrir une protection aux Palestinien•nes, ce qu’elle a été par le passé tant en Cisjordanie que dans la Bande de Gaza. Les autorités de l’asile sont alors susceptible de rejeter les demandes d’asile des réfugié•es palestinien•nes comme irrecevables ou infondées en raison de cette protection déjà acquise.

 

Cependant, l’UNRWA a été l’une des premières victimes de la guerre à Gaza. Comme l’a relevé la décision du 12 février 2024, il s’agit de la guerre la plus meurtrière pour les travailleurs humanitaires des Nations unies, de toute son histoire. Sur une accusation grossière et infondée, qui ne répète que les éléments de langage adoptés par les autorités israéliennes depuis vingt ans, l’UNRWA a perdu le soutien financier de plusieurs membres du Conseil de sécurité, dont la France.


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A nouveau, comme l’a relevé la CNDA, l’effondrement du système de santé, du système d’abris de l’UNRWA, le ciblage de l’organisation elle-même, tant de son financement que de ses travailleurs, a détruit ses capacités opérationnelles et donc sa capacité à constituer une autorité bénéficiant des prérogatives du pouvoir politique dans la Bande de Gaza.

 

Accessoirement, la même chose peut être dite des gouvernorats de l’Autorité palestinienne dans la Bande de Gaza sous contrôle du Hamas. Parmi les nombreux crimes de guerre de l’armée israélienne, la démolition du bâtiment parlementaire à Gaza, d’universités, d’écoles, de mosquées, le ciblage d’hôpitaux en plus de l’éradication de quartiers entiers de la région démontrent la volonté de provoquer la disparition de l’autorité politique dans la Bande de Gaza. Cette volonté a été expressément admise par les autorités israéliennes, qui ont réitéré leur opposition à la création d’un État palestinien et leur soutien à des mouvements de colonisation israéliens de la Bande de Gaza.

 

Dès lors, il n’est plus possible de considérer qu’une quelconque autorité politique dans la Bande de Gaza demeure en mesure de prodiguer une protection équivalente à un État aux Gazaoui•es.


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La question doit également être posée au regard des événements en Cisjordanie.

 

Compte tenu de l’offensive des autorités israéliennes dirigée avec succès contre l’UNRWA, l’institution est menacée dans sa capacité à assumer les prérogatives politiques d’un État en Cisjordanie.

 

 

Les forces régulières israéliennes et les groupes armés de colons ont cible tout au cours de l’année 2023 des infrastructures sous la gouvernance de l’UNRWA, notamment le camp de Jenin et les communes visées par la colonisation.


 

La guerre à Gaza

 

Concernant le conflit à Gaza, la CNDA, dans la décision du 12 février 2024, a continué une pratique récente dans les décisions de principe en droit administratif de citer expressément la jurisprudence européenne, ici en provenance de la CJUE.

 

La citation des arrêts CJUE 17 février 2009 Elgafaji et CJUE 10 juin 2021 CF, DN c. Bundesrepublik Deutschland permet au juge d’exposer le cadre juridique de l’évaluation du niveau de violence d’un conflit. Il s’agit d’une particularité du droit de l’asile européen, un jour, j’y passerai du temps.

 

En attendant, il suffit de savoir qu’il s’agit de l’étape préalable à l’évaluation des craintes d’un civil de subir une atteinte grave du fait d’un conflit armé, au sens de l’article L. 512-1 3° du CESEDA. C’est, d’ailleurs, à ce titre que la CNDA étudie les sources publiques au sein même de la décision pour décrire l’intensité du conflit.


Les développements se répartissent en deux considérants. Le premier considérant, le considérant 25, s’attarde sur l’historique de l’assaut israélien à compter du 7 octobre 2023, en se fondant presque exclusivement sur les rapports des institutions onusiennes, au premier chef l’UNRWA, avec une petite exception pour la source chérie de la CNDA, le Dashboard de l’organisation non-gouvernementale The Armed Conflict Location & Event Data (ACLED). La Cour y rappelle notamment le bilan effroyable des victimes tels que rapporté par l’UNRWA sur la base des données du ministère de la santé à Gaza, le nombre de déplacés, soit plus de 85 % des Gazaoui•es et le nombre d’incidents sécuritaires.


Le deuxième considérant, le considérant 26, examine la crise humanitaire elle-même. La CNDA reprend alors les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (United Nations international children’s emergency fund, UNICEF), qui témoignent de l’effondrement du système de santé dans la Bande de Gaza et de l’impossibilité de faire parvenir de l’aide humanitaire par-delà du blocus israélien. L’insécurité alimentaire est médicale ont transformé Gaza en un lieu de mort, selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, UNOCHA), terminologie forte que reprend et adoube la décision M. A..

 

La conclusion donnée à ce tableau apocalyptique est le constat d’une situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle découlant du conflit dans la Bande de Gaza. Concrètement, une telle décision de principe, classée C+, signifie que tout•e Palestinien•ne démontrant que la Bande de Gaza est son lieu de résidence habituel, avant son départ en exil, peut bénéficier, au minimum, de la protection subsidiaire en France.

 

La résidence habituelle se démontre alors par tout moyen, notamment les connaissances géographiques et politiques attendues des habitants de la région, ainsi que par les éventuels documents présentés par les réfugiés, comme des actes de naissance ou des cartes d’enregistrement de l’UNRWA.


 

Les Palestinien•nes et le statut de réfugié

 

La protection subsidiaire fondée sur l’article L. 512-1 3° constitue néanmoins de la protection minimale.

 

Elle est susceptible d’être terminée si la situation sécuritaire cesse d’être aussi grave.

 

Or, la nature de la violence que l’armée israélienne déchaîne dans la Bande de Gaza n’est pas seulement constitutive d’un conflit armé. Ne se tenir qu’à cette interprétation serait accorder à la thèse des « dommages collatéraux » une crédibilité qui n’est pas fondée dans les sources employées par la décision du 12 février 2024. La Cour internationale de justice (CIJ) a entamé les audiences concernant un avis consultatif qui lui a été soumis en 2022 au sujet des « conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans les Territoires occupés, y compris Jérusalem-Est ».

 

La question du traitement des Palestinien•nes précède ainsi les dernières opérations militaires israéliennes, tout comme la demande d’asile présentée par M. A..


La décision du 12 février 2024 n’a toutefois pas examiné ses craintes de persécution en raison de la « race » ou de la « nationalité » au sens de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ou même des opinions politiques imputées aux Palestinien•nes par les autorités israéliennes.

 

Il s’agit d’un sujet sensible mais central, d’où la reconnaissance par la CIJ du risque « réel et imminent » d’atteintes aux droits des Palestinien•nes au regard de la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, dans son ordonnance du 26 janvier 2024.



"I'm from Buenos Aires and I say kill them all"

 

La CIJ s’est pourtant fondée sur les mêmes sources que la CNDA pour estimer que l’entreprise militaire israélienne provoquait un risque plausible d’atteinte à la Convention du 9 décembre 1948, qui définit le génocide à son article II :

 

« Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

 

a) Meurtre de membres du groupe;

 

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

 

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

 

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;

 

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »

 

Il s’agit d’actes dont on sait qu'ils sont commis en masse par les autorités israéliennes et qui appellent à la reconnaissance des craintes de persécution des Palestinien•nes qui devraient à nouveau être confrontés aux autorités israéliennes sans pouvoir se prévaloir de la protection de l’Autorité palestinienne ou de l’UNRWA. L'individualisation ne devrait poser aucun problème et ne peut pas justifier le défaut d'examen de craintes de persécution devant le caractère indiscriminé et brutal des conditions de détention dans les geôles israéliennes, la commission publique et systématique d'actes de torture ou des violences sexuelles infligées aux détenu•es palestinien•nes entre les mains israéliennes. Un•e Palestinien•ne de Gaza ou de Cisjordanie expulsé vers les Territoires occupés serait remis aux autorités israéliennes, non à l'UNRWA ou à l'Autorité palestinienne, et encourrait donc d'être torturé par les services de sécurité israéliens.

 

La CNDA doit revenir aux jurisprudences protectrices des personnes confrontées à des forces armées génocidaires.

 

En 2018, la CNDA avait su protéger les réfugiés d’ethnie Zaghawa du Darfour en reconnaissant qu’ils arboraient des craintes bien fondées de persécution du fait des autorités soudanaises. Elle a protégé les Zaghawa, les Massalit et d’autres membres d’ethnies non-arabes du Darfour au titre de la Convention de Genève.

 

Cependant, depuis le début du conflit au Soudan en 2023, elle n’a classé que des décisions relatives à la situation sécuritaire, malgré les massacres de masse dirigés contre les habitants du Darfour en fonction de leur appartenance ethnique. Elle a même exclu les Dajo de la protection conventionnelle pour des motifs infondés dans les sources publiques.

 

La CNDA doit donc démontrer que ses références aux juridictions internationales ne sont pas que des villages de Potemkine. Si la CIJ reconnaît le risque de génocide, elle a le devoir de reconnaître le statut de réfugié aux Palestinien•nes des Territoires occupés. A défaut, elle se cantonnerait à l’air xénophobe du temps en n’offrant que la protection internationale la moins durable aux victimes de génocide.


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