La protection de l’UNRWA
1) En Cisjordanie
Faisant suite à la première partie de cet article, la grille de lecture selon laquelle le statut de réfugié laissait précédence à la protection de l’UNRWA était adaptée du temps où l’UNRWA pouvait, tant bien que mal, opérer en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza.
L’UNRWA rend annuellement compte de son travail auprès de l’Assemblée générale des États-Unis, depuis 1949. Elle fournit de nombreux services proto-étatiques tant dans la Bande de Gaza qu’en Cisjordanie.
En 2022, l’UNRWA a été en mesure d’assurer des services de santé, des services d’éducation élémentaire et supérieure et même des services bancaires qui dispensaient des micro-crédits et fonctionnaient de manière autonome.
Concernant la Cisjordanie, l’Office avait déjà relevé une dégradation sérieuse de ses capacités opératoires et de la sécurité des réfugiés Palestiniens. Il s’agissait, alors, de l’année la plus meurtrière depuis 2005, la fin de la Seconde Intifada, où 58 réfugiés avaient été tués parmi les 158 morts Palestiniens de Cisjordanie. Il s’agissait également de l’année où les affrontements armés à l’intérieur des camps de réfugié s’est trouvé le plus élevé depuis la collecte systématique de donnée en 2012, avec des opérations militaires conduites par l’armée israélienne de plus en plus fréquente.
L’augmentation de la violence a, par ailleurs, provoqué l’arrêt temporaire de services essentiels fournis par l’UNRWA, ce qu’il est nécessaire d’étudier pour comprendre pourquoi il faut, désormais, protéger les Palestiniens au titre de la Convention de Genève de 1951.
2) Dans la Bande de Gaza
Concernant la Bande de Gaza, un territoire où 80% de la population dépendait déjà de manière vitale de l’aide fournie par les Nations unies, l’UNRWA soulignait dès 2022 que le blocus israélien et la répétition des violences commises par l’armée israélienne étaient à l’origine de la situation humanitaire insoutenable de l’enclave. Le taux de chômage des jeunes atteignait 73,1%, les taux d’insécurité alimentaire y avait augmenté par rapport à l’année 2021.
En particulier, les affrontements armés entre Tsahal et des groupes armés Palestiniens avaient provoqué la mort de près d’une dizaine d’élèves des écoles de l’UNRWA, en août 2022. Une grande part de la population, notamment les enfants et élèves des écoles de l’UNRWA, requerrait, aujourd’hui comme alors, une assistance psychologique spéciale du fait de la menace de mort permanente qui pèse sur les habitants de Gaza.
Une telle menace de mort permanente et imminente, à elle seule, permettrait de franchir le seuil de la gravité nécessaire d’atteintes pour être constitutives de persécution au sens de la Convention de Genève, ce qui ouvre le droit au statut de réfugié si ces craintes de persécution en cas de retour sont bien fondées et actuelles.
L’UNRWA et la guerre
Au 7 octobre 2023, dans le sillon de l’opération terroriste du Hamas, « Déluge d’al-Aqsa », l’UNRWA a suspendu, temporairement, ses services aux personnes. Dès midi, l’Etat d’Israël a entamé le bombardement indiscriminé de la Bande de Gaza, de sorte qu’au soir du 7 octobre 2023, trois écoles gérées par l’UNRWA avaient subi des dommages liés aux bombardements, et plus de 20 000 déplacés internes étaient répartis entre quarante-quatre écoles gérées par l’UNRWA dans le territoire. Ces informations ont été rendues publiques par la publication du premier rapport de situation lié au conflit[1].
Depuis lors, l’UNRWA a publié 77 rapports de situation, le plus récent, au moment de la rédaction de l’article, datant du 14 février 2024. Ce dernier dépeint, bien entendu, l’effondrement de l’administration et de l’infrastructure déjà délicate de la Bande de Gaza, ainsi que l’ampleur des massacres conduits par l’armée israélienne. L’UNRWA a décompté 156 morts parmi ses collaborateurs, au moins 330 déplacés internes qui ont été tués et 1 150 blessés parmi les déplacés internes alors qu’ils trouvaient refuge dans le périmètre des bâtiments qui lui sont affectés. Le rapport relate la surpopulation mortelle de Rafah, ciblée par une campagne de bombardement indiscriminé, tandis que de nouveaux réfugiés et victimes de l’armée israélienne affluent encore du nord de la ville.
Le rôle de l’UNRWA dans la Bande de Gaza a muté, tandis que sa capacité à faire face au besoin humanitaire s’est gravement dégradée. Seuls 6 des 22 centres de santé sont encore en état de fonctionner, ses centres d’hébergement des personnes déplacées, dans le centre et le sud de la Bande de Gaza abritent plus de 12 000 personnes, plus de quatre fois leur capacité normale. Par ailleurs, les autorités israéliennes imposent délibérément des obstacles à l’action de l’UNRWA. Sur 77 missions humanitaires organisées vers le nord de Gara, 39 convois ont été interdits d’accès, 14 ont été empêchés et 9 se sont avérés impossibles. Vers le Sud, sur 189 convois prévus, seuls 107 ont pu franchir la frontière.
Le rapport, sobre et pourtant dramatique, met en avant le coût psychologique terrible pour les Gazaouis et les agents de l’UNRWA pris dans le siège, et l’attention accordée aux consultations d’aide psychosociale des enfants, des travailleurs et des déplacés[2].
En somme, le conflit a étiolé le rôle de l’UNRWA, réduit à se battre contre la violence sanguinaire des autorités israéliennes, face à de terribles dangers, pour tenter d’assurer le minimum vital à des civils fuyant les massacres.
La campagne de déshumanisation[3] des Palestiniens, et des Gazaouis à plus forte raison, a également ciblé l’UNRWA. Il s’agit d’une campagne ancienne : le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, avait appelé plusieurs fois à la dissolution de l’Office, l’estimant « anti-israélienne ». Les autorités israéliennes considèrent même que l’UNRWA sert de couverture aux activités du Hamas au cours du conflit.
Récemment, cette campagne de dénigrement a porté ses fruits, une dizaine d’employés de l’Agence, parmi les 13 000 collaborateurs qu’elle emploie, ont été accusés d’avoir été impliqués dans les attentats du 7 octobre 2023 par l’Etat d’Israël. Plusieurs pays occidentaux ont donc retiré ou suspendu le financement d’aides en faveur de l’UNRWA. L’inconséquence horrifiante de membres du Conseil de sécurité et de leurs alliés a été qualifiée de « punition collective » par Michael Fakhri, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation. Le Haut-Commissaire Philippe Lazzarini a souligné l’injustice de la sanction dirigée contre le peuple palestinien et l’Agence des Nations unies sur le seul fondement des actes d’individus qui ont été immédiatement licenciés par leur employeur.
Ces accusations, et la réaction des alliés occidentaux de l’UNRWA, sont survenues dans le sillage des mesures provisoires adoptées par la CIJ, dans sa décision du 26 janvier 2024, qui s’est largement fondée sur les déclarations, jugées crédibles pour parler en termes chers au droit de l’asile, du Haut-Commissaire Philippe Lazzarini, pour estimer que l’État d’Israël devait prendre des mesures conservatoires pour réduire le risque d’atteinte à Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948.
Pourtant, l’État d’Israël et de nombreux comptes de réseaux sociaux à forte audience se sont rendus coupables de promouvoir de la désinformation autour de l’invasion de la Bande de Gaza et de l’UNRWA. Il s’agit d’opérations de désinformation grossières, qui dépeignent librement l’UNRWA comme étant une agence terroriste, voire composée de Nazis, qui ridiculisent ou minimisent la tragédie vécue par les Palestiniens à Gaza, avec l’émergence, par exemple, du néologisme « Pallywood », soit le Hollywood ou le Bollywood palestinien, ou encore de simuler des découvertes de caches d’armes, bien que Tsahal n’aurait pas atteint les gains militaires espérés[4], plusieurs mois après le début des opérations militaires.
De fait, le rôle de l’UNRWA est passée d’un substitut de l’État à un service d’urgence, qui ne peut donc plus remplir ses fonctions ni d’un point de vue conventionnel, ni d’un point de vue concret comme autorités de substitution. Désormais, le risque de famine est inévitable, selon le rapporteur Michael Fakhri, en raison de la suspension du financement de l’UNRWA par plusieurs contributeurs majeurs.
La question de l’effectivité de la protection de l’UNRWA a donc été posée et a conduit l’avocat général de la CJUE à estimer que les Palestiniens de Gaza ne pouvaient plus être considérés comme étant sous la protection des Nations Unies en raison du conflit.
Quelle lecture des craintes des réfugiés palestiniens ?
1) Sur le bénéfice de la protection subsidiaire tirée de l’article L. 512-1 3°
En premier lieu, il est possible de régler d’emblée la question du bénéfice de la protection subsidiaire. Sans préjuger des raisons individuelles qui pourraient autoriser le bénéfice de la protection subsidiaire fondée sur les 1° et 2° de l’article L. 512-1, il est possible d’emblée d’apprécier la situation de violence aveugle engendrée par le conflit et d’y appliquer le prisme de l’article L. 512-1 3° du CESEDA.
Bien entendu, les conditions de vie à Gaza sont inhumaines. Tout•e Palestinien•ne dont le centre d’intérêts peut être situé à Gaza craint de façon très sérieuse de subir une atteinte grave à sa vie et à sa personne du simple fait de sa présence dans la zone, affectée par un conflit aveugle d’une intensité exceptionnelle.
L’assaut et le bombardement indiscriminé de la Bande de Gaza ont ainsi tué, à ce jour, plus de 28 000 Palestiniens, en très grande majorité des civils, dont 70 % de femmes et d’enfants, ce qui signifie que les civils ne sont pas du tout épargnés par les combats au titre du droit humanitaire. Il s’agit du plus grand déplacement de réfugiés Palestiniens depuis 1948, selon Philippe Lazzarini, le Haut-Commissaire de l’UNRWA. En novembre 2023, 1,6 millions de Gazaoui•es sont devenus des déplacés de guerre du fait de la violence des bombardements et des affrontements, sur une population de 2 millions.
Selon toute métrique décente et notamment la jurisprudence de la CNDA, il s’agit d’une situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle, ce qui permettrait à un demandeur d’asile palestinien de la Bande de Gaza de bénéficier, à tout le moins, de la protection subsidiaire. Si l’on devait comparer, dans le but non de minimiser la gravité d’autres conflits mais plutôt de prendre la mesure de la gravité des massacres se déroulant à Gaza, la CNDA a récemment jugé que la région Centre-Est au Burkina Faso, se trouvait dans une situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle[5]. Elle a notamment pris en compte les données du projet Armed Conflict Location Event Data (ACLED), qui a estimé que le conflit général au Burkina Faso avait conduit à la mort de 17 906 personnes entre 2019 et 2023 et provoqué 1,9 millions de déplacés internes depuis 2015, selon les données de l’UNHCR. Dans la région Centre-Est, la situation sécuritaire s’est fortement dégradée au cours des années 2022 et 2023, avec 66 000 déplacés internes sur une population d’1,6 millions d’habitants et 661 personnes tuées en 2023 contre 181 tués au cours de l’année 2022.
La franchissement du seuil de la crise humanitaire au Burkina Faso est incontestable et notamment dans la région Centre-Est où tout civil est, en effet, susceptible de subir une atteinte grave à sa vie ou à sa personne.
Par conséquent, compte tenu de la soudaineté, de l’ampleur terrible des massacres de civils dans la Bande de Gaza, mais aussi de l’effondrement total des infrastructures publiques et du déplacement de la quasi-totalité de la population, la région se trouve manifestement en situation de violence aveugle d’intensité exceptionnelle.
2) Sur la reconnaissance des craintes de persécution fondées sur un motif tiré de la Convention de Genève de 1951
En second lieu, compte tenu de l’attitude de l’armée israélienne vis-à-vis des civils dans la Bande de Gaza, mais aussi des déclarations de responsables politiques israéliens, américains ou français et de l’analyse offerte par les organisations internationales au sujet des événements à Gaza, les atteintes graves subies par les Palestiniens à Gaza semblent également relever de la Convention de Genève de 1951, au motif qu’il s’agit de persécutions motivées par la race ou les opinions politiques imputées aux Palestiniens.
Au moment où se déroule l’instance introduite par l’Afrique du Sud contre l’État d’Israël pour les manquements allégués à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, la question des raisons pour lesquelles les civils ont été aussi régulièrement victimes des agissements de l’armée et des autorités israéliennes au cours de la campagne militaire débutée le 7 octobre 2023 révèle le bien-fondé de craintes de persécution de la part des nouveaux réfugiés Palestiniens.
Sur la déshumanisation des Palestiniens de la Bande de Gaza et leur association avec le Hamas
Le terme « déshumanisation » a été employé par le Haut-Commissaire de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, mais également repris par des thinktanks indépendants comme l’organisation International Crisis Group.
Ainsi, le Haut-commissaire de l’UNRWA a souligné à de multiples reprises la « déshumanisation » que provoquent le siège israélien et le mépris pour les vies humaines palestiniennes qui transpire de la privation d’aide humanitaire et du traitement réservé aux civils de Gaza, mais aussi des déclarations de divers responsables israéliens avant et depuis le 7 octobre 2023. A cet effet, il a réitéré ses propos au sein d’une déclaration officielle du 20 décembre 2023, lors de la conférence nationale humanitaire organisée par la France pour la sixième fois depuis 2011.
The International Crisis Group a souscrit également à cette perception de l’attitude des autorités israéliennes vis-à-vis des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, soulignant que le refus constant d’envisager un cessez-le-feu, accepté et réaffirmé par les autorités étatsuniennes alliées à l’État d’Israël, témoigne de la déshumanisation des Palestiniens, qui ne sont perçus que comme des terroristes ou un danger et donc indignes de bénéficier du droit humanitaire le plus élémentaire. Par exemple, le porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby, tôt dans les opérations militaires conduites par Israël, a estimé que seul le Hamas bénéficierait d’un cessez-le-feu, sans tenir compte des civils de la Bande de Gaza qui aurait sans doute également bénéficié d’un cessez-le-feu, à une date où près de 10 000 Palestiniens avaient déjà été tués par l’armée israélienne. S’il s’agit peut-être d’une maladresse de langage, elle trahit néanmoins l’association étroite, dans l’esprit des forces militaires responsables des massacres répétés de civils, du groupe armé et des Palestiniens en général.
De fait, les déclarations constantes de hauts responsables israéliens révèlent sans ambages la volonté d’éradiquer la Bande de Gaza et sa population, telles qu’elle se trouvaient avant le 7 octobre 2023. Au premier chef, le premier ministre Benyamin Netanyahou a récemment réaffirmé son opposition à l’existence d’un État palestinien et que la sécurité d’Israël requerrait le contrôle de tout le territoire israélien mais aussi palestinien, « du fleuve jusqu’à la mer ». Il s’agit, bien sûr, de la négation de toutes les résolutions des Nations unies prises en reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien et à un État palestinien indépendant, de la reconnaissance de l’égalité des peuples et du droit des civils palestiniens à la protection des personnes civiles en temps de guerre ou encore à la reconnaissance du statut d’État non-membre observateur à la Palestine. En somme, il s’agit de la négation des droits humains les plus élémentaires.
Plus crument, le ministre de la défense israélien, Yoav Gallant, a estimé, dès le mois d’octobre, que Tsahal combattait des « animaux humains » et était donc fondée à mener un siège total du territoire. Le ministre du gouvernement chargé du patrimoine, Amichay Eliyahu a été suspendu de réunions avec le premier ministre pour avoir suggéré lors d’une interview pour la Radio Kol Barama qu’il fallait mener une attaque nucléaire sur la Bande de Gaza. De même, le ministre de l’intérieur Itamar Ben Gvir avait affirmé qu’il était d’avis, dès janvier 2023, de déporter les Arabes d’Israël hors du pays, car naturellement déloyaux et d’annexer la Cisjordanie.
À son tour, le ministre des affaires étrangères israélien, Israel Katz, a proposé à ses homologues de l’Union européenne un projet de construction d’îles artificielles commerciales au large de la Bande de Gaza. Si le projet a été jugé inopérant par Josep Borrell, Haut-Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et Vice-Président de la Commission européenne, il s’agit néanmoins d’un projet ancien et réitéré de déplacer les centres d’intérêts économiques de la Bande de Gaza, voire les Palestiniens eux-mêmes, hors du territoire, vers la mer, sans tenir compte de la volonté des Palestiniens d’habiter et de gouverner eux-mêmes la Palestine[6][7][8][9].
La colonisation de Gaza par des Israéliens a été explicitement évoquée lors d’une conférence organisée par une association d’extrême-droite, à laquelle ont participé douze ministres du gouvernement de Benyamin Netanyahu.
Des responsables politiques français ont même eu l’occasion de contribuer au lexique des crimes contre l’humanité. Un député français affilié au parti Les Républicains, Meyer Habib, a affirmé à la radio que les Palestiniens de Gaza étaient un cancer dont même les Égyptiens ne voulaient pas. Il s’est également réjoui, à l’Assemblée nationale, de l’empilement des morts palestiniens, en criant, « Et ce n’est pas fini ! » lorsque la mort d’un agent du Ministère des affaires étrangères lors de bombardements israéliens a été soulevée au cours d’un débat.
Caroline Fourest, directrice du magazine Franc-Tireur, entendue sur BFMTV, a affirmé, dès novembre 2023, qu’on ne pouvait équivaloir la mort d’enfants israéliens dans les attaques terroristes du Hamas et les morts palestiniens dans les bombardements de l’armée israélienne ou encore que les données sur les morts civils palestiniens n’étaient publiées que par un organe terroriste et qu’il fallait donc les minimiser et les diviser par dix.
Cette rhétorique exterminatrice est le symptôme d’un racisme d’État fanatisé. Elle s’est retrouvée au Soudan, sous Omar el-Bechir et en dépit de sa chute, dans les politiques « d’arabisation » du pays qui se sont notamment traduites dans les agressions génocidaires perpétrés au Darfour ou dans le sud du pays.
Elle s’est retrouvée au Mali, au centre et à l’est du pays, lorsque des groupes armés djihadistes et des milices d’autodéfense communautaire ont pris pour cible les civils dogons ou peuls en fonction de l’allégeance qui leur était attribuée et ont commis des massacres en fonction de l’appartenance ethnique des victimes. Les cadres des différents groupes armes ont spécifiquement désigné les peuples dogons ou peuls d’être à la racine du conflit.
La fournaise du génocide rwandais a été alimentée par les rhétoriques racistes des autorités et des responsables de différents groupes de pouvoir de la société.
Les lexiques de ce genre permettent de détecter le motif conventionnel derrière les persécutions infligées à des individus appartenant à une race déterminée, au sens conventionnel, ou auxquels on impute des opinions politiques.
La distinction est souvent ténue. La CNDA a régulièrement estimé, dans le cas du Soudan et du Darfour par exemple, que les persécutions motivées par l’appartenance à une ethnie ou à une culture ou à un peuple ne relevait pas d’une politique raciste mais d’une opinion politique imputée à des membres de cette ethnie en raison de la communauté ethnique les unissant à des groupes armés opposés aux forces régulières.
En l’espèce, le caractère indiscriminé des bombardements, mais aussi les nombreuses captations visuelles de Palestinien•nes ciblés par des tirs malgré des drapeaux blancs levés, dont même des otages israéliens n’ont pas réchappé, ainsi que le seuil de 10 000 enfants palestiniens tués qui a été franchi au début de l’année 2024 témoigne de la volonté de prendre pour cible des personnes en fonction de leur appartenance ethnique ou de l’opinion politique, et non seulement en raison de leur dangerosité.
Sur le motif politique imputé aux Palestiniens
Cependant, les autorités israéliennes démontrent également de façon claire qu’elles imputent fréquemment une opinion politique aux Palestiniens de la Bande de Gaza comme de la Cisjordanie.
La Bande de Gaza est un théâtre d’opérations militaires de Tsahal, pourtant, en Cisjordanie, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a relevé une hausse « dramatique » d’arrestations et de détentions de Palestiniens depuis le 7 octobre 2023.
En particulier, dans le camp de réfugié de Jenin, les forces armées israéliennes revendiquent à la fois des assassinats ciblés au sein de lieux sanctuarisés du droit humanitaire, comme des hôpitaux, et commettent également des meurtres Palestiniens, de tous âges, depuis de nombreuses années sur le fondement d’opinions politiques imputées aux individus ciblés. L’armée israélienne cible, en effet, des individus et des lieux exclus des cibles militaires légitimes, comme des enfants, des hôpitaux et des journalistes à un rythme sans précédent, même en comparaison avec d’autres conflits moralement injustifiables.
Dès lors, dans l’hypothèse selon laquelle ces persécutions et meurtres seraient différents de l’épuration ethnique en cours à Gaza, il serait alors possible de les attribuer à l’opinion politique imputée aux Palestiniens par l’armée israélienne, comme étant favorables aux groupes armés palestiniens.
Les craintes en cas de retour d’un Palestinien en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza
A ce titre, les Palestiniens devant, hypothétiquement, retourner dans la Bande de Gaza ou en Cisjordanie, entretiennent plusieurs formes de craintes de persécution ou d’atteintes graves à leur personne.
Les Gazaouis comme les Cisjordaniens peuvent actuellement se revendiquer du risque de se retrouver entre les mains des autorités israéliennes et se voir imputer une opinion politique favorable au Hamas ou à d’autres groupes armés palestiniens indéterminés. Les conditions de détention singulièrement atroces réservées aux Palestiniens révèlent leur fonction punitive et l’indifférence des autorités israéliennes vis-à-vis de l’innocence de la plupart des Palestiniens, trahit donc l’opinion politique qui leur est imputée. Même en Cisjordanie, les disparitions forcées et les actes de torture perpétrés par les autorités israéliennes apparaissent particulièrement indiscriminées et justifient les craintes de persécution d’un•e Palestinien•ne ayant échappé aux Territoires occupés et renvoyé•e de force vers la Cisjordanie ou la Bande de Gaza sous contrôle israélien.
Les Gazaouis peuvent également justifier de craintes de persécution du simple fait d’être d’origine palestinienne. Comme démontré ci-dessus, les méthodes de guerre totale employée par l’armée palestinienne, et le déplacement forcé en masse de la quasi-totalité de la population de l’enclave souligne le risque d’être persécuté du simple fait d’être un Palestinien résident de la Bande de Gaza. Tant les bombardements récurrents contre des cibles civiles que les fusillades de civils lors de distributions d’aide humanitaire ou les exécutions de civils réfugiés dans des écoles.
Ces motifs devraient permettre aux Palestiniens qui parviendraient à demander l’asile en France de se voir reconnaître le statut de réfugié.
Enfin, bien entendu, tout civil se trouvant dans la Bande de Gaza serait en risque de subir une atteinte grave à sa vie ou à sa personne en raison de la situation de violence aveugle d’intensité découlant du conflit y régnant.
Un tel risque pourrait affecter des Palestiniens de Cisjordanie compte tenu des actions guerrières entreprises par l’armée israélienne et des milices de colons israéliens. Plus de 500 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie en 2023, ce qui constitue l’année la plus meurtrière depuis 2005, la fin de la Seconde Intifada. De même, entre le 7 octobre 2023 et le 23 janvier 2024, plus de 4 300 Palestinien•nes, dont plus de 650 enfants, ont été blessés en Cisjordanie du fait des affrontements, de telle sorte qu’il est possible de considérer que la Cisjordanie est affectée par une situation de violence aveugle découlant d’un conflit entre plusieurs groupes armés palestiniens et israéliens, ces derniers étant appuyés par les forces armées israéliennes.
Les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie pourraient donc, à défaut, se prévaloir du bénéfice de la protection subsidiaire du fait du risque de subir une atteinte grave du fait du conflit.
Quelle jurisprudence pour aujourd’hui et demain ?
Ces hypothèses, appuyées par l’horreur de l’action militaire déployée par l’armée israélienne, appellent à reconnaître le statut de réfugié aux Palestiniens qui parviendraient à gagner la France.
La vraie question est celle de savoir si la France accomplira son devoir vis-à-vis de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. La possibilité laissée aux Palestiniens d’atteindre la France est incertaine, non seulement du fait de la situation du conflit et à la frontière égyptienne, mais également en raison de négociations diplomatiques concernant l’accueil de Palestiniens en provenance des Territoires occupés.
Le sort des Palestiniens et des réfugiés Palestiniens ne peut être uniquement réglé par la reconnaissance générale du statut de réfugié : il doit exister un État également palestinien, qui engloberait Israël ou coexisterait à ses côtés. Le régime israélien doit néanmoins changer, comme le régime sud-africain a changé.
Pour l’instant, l’exécutif et la justice française, en particulier la CNDA doivent faire leur part. Une décision classée venant du Conseil d’Etat ou de la CNDA doit reconnaître les craintes de persécution des Palestiniens des Territoires occupés au-delà de la situation de violence aveugle, afin de guider la politique d’accueil française des réfugiés palestiniens et constituer ainsi un bouclier pour les Palestiniens victimes des crimes des autorités israéliennes.
[3] International Crisis Group, « A New Phase in the War in Gaza? », Hold Your Fire!, crisisgroup.org, 13 janvier 2024
[4] Wall Street Journal, « Hamas Toll Thus Far Falls Short of Israel’s War Aims, U.S. Says », wsj.com, 21 janvier 2024
[6] EVEN S., GARTNER S., KEHAT D., « Artificial Islands off the Gaza Coast », Strategic Assessment, février 2003
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