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Writer's pictureFranck Conroy

La Palestine et la protection internationale

Cet article s’est d’abord écrit à l’ombre du procès de l’État d’Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ), sur la plainte de l’Afrique du Sud et plus généralement de la nouvelle catastrophe qui s’est abattue sur Gaza.

 

L’écriture a duré et nous sommes désormais entrés dans un temps où plusieurs nations occidentales ont retiré ou suspendu leur financement à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les Réfugiés palestiniens au Proche-Orient (United Nations Relief and Works Agency, UNRWA) et où la CIJ a ordonné des mesures conservatoires à la charge d’Israël, jugeant plausible le risque d’une atteinte à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948.

 


Source : CIJ - Multimedia


 

Par la faute du gouvernement d’extrême-droite israélien et de l’armée israélienne, qui se sont affranchis des lois de la guerre dans un acte de vengeance à l’égard du Hamas, plus de 25 000 Palestiniens ont été tués, selon le calcul fiable du Ministère de la Santé palestinien. Le massacre des Palestiniens figure déjà parmi les plus grandes atrocités du XXIème siècle, en termes, par exemple, de morts par jour selon l’organisation non-gouvernementales OXFAM.

 

Se dissimulant sous le masque de la démocratie et de la légitime défense, l’Etat d’Israël a mis en œuvre une politique de déplacement forcé et de bombardement indiscriminé et systématique d’un territoire de moins de 50 km2, tandis qu’en Cisjordanie, les autorités israéliennes arment et laissent libre cours à des groupes armés dits de « colons », tout en ciblant de manière indiscriminée des civils palestiniens, en mettant également en œuvre une politique de déplacement forcé des Palestiniens cisjordaniens.

 

Les crimes contre l’humanité commis par les autorités israéliennes, titanesques, sont impardonnables. Ni la décence due à toutes les victimes, ni l’esprit de proportion ne peuvent accorder aux agissements des autorités israéliennes et de leurs armées le bénéfice d’une causalité ou de la réciproque qui seraient la conséquence des attentats du Hamas contre des civils israéliens le 7 octobre 2023.



L’ampleur de ces crimes pose à nouveau la question du statut de réfugié des Palestiniens. Cette étude vise à apporter une réponse à cette question, celle de savoir sous quelles conditions un•e Palestinien•ne, en particulier issu•e des Territoires occupés, peut demander l’asile en France.

 

 

La nationalité indisponible des Palestiniens

 

En droit de l’asile, la protection internationale qui est reconnue au réfugié l’est au regard de sa nationalité, lorsque les autorités du pays d’origine ne sont plus en mesure de lui offrir la protection due à leurs ressortissants[1][2]. A défaut de nationalité, les craintes de persécution sont examinées au regard du pays où cette personne avait sa résidence habituelle.

 

Il s’agit d’une occurrence rare, mais qui fait l’objet, en général, de décisions de principe qui guident les praticiens dans l’analyse des craintes de persécution d’un groupe de personnes donné. Par exemple, les réfugiés sahraouis, venant du Maroc, du Sahara occidental ou encore des camps de Tindouf en Algérie constituent le cas d’école de l’analyse différentiée en fonction de la nationalité ou de la résidence habituelle[3].

 

Les Palestiniens n’ont pas d’État et n’ont donc pas accès à la protection qu’un État accorde à ses ressortissants. Les différentes organisations, régionales et internationales, qui peuvent imparfaitement les représenter n’ont notamment pas les mêmes prérogatives qu’un État souverain. Ainsi, les demandes d’asile palestiniennes doivent faire l’objet d’une analyse fine afin de déterminer l’État ou les autorités au regard desquelles analyser leurs craintes de persécution.

 

Tout d’abord, la Palestine hors de l’État d’Israël est composée de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza. Elle est gouvernée par l’Autorité palestinienne, une organisation proto-étatique instituée en 1994 dans le cadre des accords d’Oslo du 13 septembre 1993 et le 28 septembre 1995. Le Fatah, une faction politique palestinienne, est à la tête de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie.

 

Aux côtés de l’Autorité palestinienne se trouve l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), la représentante politique des Palestiniens en tant que peuple cherchant à exercer son droit à l’autodétermination. Il s’agit d’une organisation fondée le 2 juin 1964, reconnue par la Ligue arabe et reconnue comme observatrice par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU). Elle est composée de plusieurs factions politiques, dont le Fatah, mais pas du Hamas.

 

Aujourd’hui, lorsqu’on évoque le Hamas, il s’agit plus précisément tant du Hamas en tant qu’organisation politique militarisée, qui existe aussi hors de Gaza à travers ses cadres basés en Arabie saoudite, en Algérie, au Liban ou en Égypte, qu’en tant qu’administratrice des institutions que l’organisation a arrachées au Fatah et donc à l’Autorité palestinienne en 2007 par la force des armes[4]. Il s’agit ainsi de l’organisation politique de facto à la tête des gouvernorats de la Bande de Gaza.

 

Malgré la résolution 67/19 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 novembre 2012, l’Autorité palestinienne n’est pas encore une entité susceptible d’être considérée comme un Etat à part entière, non plus que l’OLP ou le Hamas, dont les Palestiniens pourraient être des ressortissants. En particulier, son droit à maintenir une force armée n’existe pas en raison de l’occupation militaire de ses terres par les forces armées israéliennes, ni son droit de gouverner souverainement les territoires palestiniens. Israël est le principal obstacle à l’exercice de cette souveraineté putative, pourtant reconnue, à plusieurs reprises, par les Nations unies, en contrôlant par exemple le droit des gouvernorats de Gaza d’accéder à d’hypothétiques eaux territoriales ou en contrôlant militairement et administrativement le territoire terrestre de la Cisjordanie[5].

 

Trio Jourban concert, June© 2023 UNRWA Photo

Du point de vue de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, il ne s’agit donc pas d’États au regard desquels on peut examiner des craintes de persécution. Toutefois, comme indiqué ci-dessus, il est possible de considérer que la résidence habituelle en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza place les personnes considérées sous le régime de l’Autorité palestinienne ou du Hamas et que, dès lors, leurs craintes doivent être examinées au regard de la protection que leur offrent ces institutions.

 

A l’égard des Palestiniens existe également la seule agence des Nations unies spécialisée dans l’assistance aux réfugiés, hormis l’agence généraliste : Haut-Commissariat aux Réfugiés (UNHCR). L’UNRWA a été créé par la Résolution 302 (IV) du 8 décembre 1949 de l’Assemblée générale des Nations unies, après la guerre israélo-arabe et la Nakba, le premier déplacement forcé moderne des Palestiniens après la victoire du nouvel État d’Israël et des groupes armés israéliens. Il ne s’agit pas d’un État, mais d’un substitut, qui régit les camps de réfugiés permanents où vivent une grande partie des Palestiniens. L’UNRWA fournit notamment des services de base de santé, d’éducation ou alimentaires à ses bénéficiaires. Dans son rapport de 2022, l’UNRWA a relaté avoir fourni une éducation de base à 500 000 enfants, une aide financière et alimentaire à 2 millions de Palestiniens et des services de consultation de santé à 8 millions de bénéficiaires.

 




 

L’existence de l’UNRWA et l’assistance que l’agence offre aux Palestiniens ajoute un niveau supplémentaire d’analyse de la demande d’asile palestinienne en France. En effet, les mécanismes de protection internationale ne sont pas prévus pour se superposer. Ils peuvent être subsidiaires l’un à l’autre, comme la protection subsidiaire européenne vis-à-vis du statut de réfugié conventionnel, ou alors ils peuvent s’exclure l’un l’autre, tel qu’il est prévu au sein de la Convention de Genève.

 

 


 


La clause de non-concurrence des protections internationales

 

La Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés est, selon la formule consacrée notamment par les considérants introductifs de la directive « Qualification » de 2004, la pierre angulaire du système de protection internationale. En tant que clé de voûte, elle est suppléée par plusieurs autres mécanismes de protection et à ce titre, elle impose certains critères qui tendent à exclure les Palestiniens sous la protection de l’UNRWA du statut de réfugié tel qu’on l’entend communément.

 

L’article 1er D de la Convention de Genève, en son premier paragraphe, exclut les bénéficiaires d’une protection ou d’une assistance onusienne autre que l’assistance fournie par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). C’est, en quelque sorte, une clause de « non-concurrence », pour que des mécanismes de protection internationale ne se superposent pas.

 

Aux termes de cet article :

 

« Cette convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

 

Lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette convention. »

 

Le premier article expose les deux critères déterminants de cette exclusion : l’actualité de la protection considérée, préalable, et l’identité de l’organisme protecteur. Dans le cas des Palestiniens, l’UNRWA est nécessairement l’organisme auquel l’article 1er D fait référence, dès sa rédaction.

 

Quant au critère « d’actualité », il a hérité de plusieurs strates d’interprétation juridique, qui ont permis de le lire comme étant dynamique et comme pouvant se lire au temps présent, non au temps de sa rédaction[6].

 


Students are back to school in the Ramallah Basic Boys’ school early September © 2023 UNRWA Photo by Mohammad Sharif



 

 

La jurisprudence française et européenne concernant les protections préalables

 

Par conséquent, la jurisprudence française et européenne a entrepris d’analyser les demandes d’asile palestinienne en fonction des lieux de résidence des Palestiniens et de leurs autorités de substitution. Un « TL;DR » se trouve quelques paragraphes plus bas si vous n’avez pas envie de lire une revue de jurisprudence.

 

Une décision de la CNDA du 9 novembre 2015 constitue ainsi un exemple saillant de l’analyse des lieux de résidence des Palestiniens exilés. Par une décision classée C+, la Cour a analysé la demande d’asile d’un Palestinien de Syrie, de père palestinien et de mère syrienne, mais né à Dubaï, qui cherchait à se soustraire au recrutement forcé au sein des forces armées syriennes au moment du déclenchement de la guerre de Syrie et craignant d’être persécuté en raison de ses opinions politiques.

 

Tout d’abord, les juges ont relevé qu’il ne disposait pas de document d’identité émis par l’Autorité palestinienne, puisqu’il n’était pas né en Palestine mais aux Émirats arabes unis. Plus de 70 ans après la Nakba et la création de l’UNRWA, la situation concerne de très nombreux Palestiniens, près de la moitié des Palestiniens dans le monde. Le requérant ne pouvait donc pas se prévaloir de la protection de l’Autorité palestinienne, où, de toute façon, il n’avait pas de résidence habituelle.

 

Il ne pouvait davantage se prévaloir de la citoyenneté émirienne, ni de la protection des autorités des Émirats arabes unis, en raison du mode très restrictif de l’acquisition de la nationalité du pays.

 

Enfin, ce n’est pas au regard de la nationalité syrienne que ses craintes ont été examinées, dans la mesure où plusieurs facteurs interdisaient qu’il puisse être considéré syrien, dont l’impossibilité pour une femme de transmettre la nationalité et son statut de Palestinien réfugié en Syrie. Cela n’a pas empêché le régime de Bachar el-Assad de recruter de force les réfugiés palestiniens pour garnir les rangs des forces armées régulières.

 

Ce n’est donc qu’au regard de sa résidence habituelle en Syrie que les craintes du requérant ont été examinées. Dans le cas d’espèce, il est nécessaire de relever le très jeune âge du requérant, âgé de vingt ans au moment de la décision. Il n’avait vécu en Syrie que de ses treize à dix-sept ans, mais, dès l’âge de seize ans, en 2011 au début de la guerre civile, il a participé aux manifestations anti-gouvernementales puis, à partir de 2012, il a rencontré des problèmes pour continuer ses études, rebondissant entre la Syrie, les Émirats arabes unis et le Liban avant de quitter définitivement la Syrie et les Émirats arabes unis où il résidait de façon précaire pour gagner la France, à cause du risque de devoir servir sous les drapeaux à partir de 2013, année de sa majorité.

 

La précarité de son séjour aux Émirats arabes unis a convaincu les juges de n’examiner ses craintes qu’au regard de la Syrie, à défaut d’autre Etat vers lequel se retourner, puis de reconnaître au requérant le statut de réfugié en raison de ses craintes de persécution découlant de son refus de servir sous les drapeaux syriens et ayant fui un recrutement forcé dans les forces armées régulières[7].

 

Dans une autre décision du 14 septembre 2020, la CNDA a reconnu le statut de réfugié à une requérante, placée sous mandat de l’UNRWA et néanmoins menacée d’être mariée de force dans la Bande de Gaza. La Cour a considéré qu’elle entretenait des craintes bien fondées de persécution, en raison de son appartenance au groupe social des femmes gazaouies entendant se soustraire à une mariage forcé, du fait des membres de sa famille et des autorités « para-étatiques » des gouvernorats sous contrôle du Hamas. En effet, l’UNRWA, dont elle était pourtant bénéficiaire, n’était plus en mesure de lui garantir une protection contre le projet de mariage dont elle faisait l’objet[8].

 

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé pareillement que le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire pouvaient être reconnus à un Palestinien qui a bénéficié auparavant de la protection ou de l’assistance effective de l’UNRWA, si celle-ci encourt une situation d’insécurité grave sur son territoire de résidence ou sur le territoire où opère la branche de l’UNRWA auprès de laquelle elle avait été enregistrée. Plus concrètement, en l’espèce, une Palestinienne gazaouie avait fui la Bande de Gaza vers la Jordanie, où elle avait été enregistrée par l’UNRWA, puis vers la Bulgarie, où elle a déposé une demande d’asile. Le raisonnement imposée aux autorités de l’asile des États-membres de l’Union européenne passe, tout d’abord, par l’analyse des craintes de persécution ou de subir une atteinte grave dans le territoire d’origine, ici, Gaza, puis par l’analyse de la possibilité pour la personne de se réinstaller là où l’UNRWA est susceptible de lui offrir une protection, si elle y est admissible, ici, la Jordanie ; et ensuite seulement d’analyser si elle remplit les critères pour bénéficier d’une protection internationale garantie par les États-membres de l’Union européenne[9].

 

Enfin, l’avocat général Emiliou, de la CJUE, a estimé que les États-membres de l’Union européenne devaient considérer que la protection de l’UNRWA avait, de fait, cessé, dans l’affaire C-563/22 SN & LN c. Zamestik-predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhansite.

 

TL;DR : il y a plusieurs obstacles à l’obtention du statut de réfugié par un•e Palestinien•ne, particuliers à sa situation. Il s’agit de la protection accordée à son égard par les autorités de son lieu de résidence, ou l’UNRWA, ou les deux successivement, qui interdiraient à un Etat-membre de l’Union européenne de superposer le statut de réfugié classique ou la protection subsidiaire sur la protection accordée par l’UNRWA ou un État tiers. Il faut donc démontrer que cette protection fait défaut avant d’analyser le fond du dossier : les craintes de persécution.

 


UNRWA students at Beit Hanoun Co-Ed School in northern Gaza plant trees at their new school garden funded by the EU in March © 2023 UNRWA Photo by Louise Wateridge

Lorsqu’on évoque les réfugiés Palestiniens, leur situation juridique est donc aussi diverse que leurs lieux de résidence et leur prise en charge par l’UNRWA, qui limite leur accès à l’asile conventionnel. Les Palestinien•nes de Gaza auront, peut-être aujourd’hui, un accès facilité à l’asile conventionnel qui ne serait pas nécessairement offert à un•e Palestinien•e du Liban, du fait de cette condition de recevabilité lié à la protection et les services garantis par l’UNRWA.


[2]          Articles 2-d et 2-f de la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte)

[3]          CNDA GF 3 mai 2016, M. S., 15033535 R & CNDA GF 3 mai 2016, Mme M, 12005702 R

[5]          Ghislain Poissonnier et Eric David, « Les colonies israéliennes en Cisjordanie, un crime de guerre ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 16 | 2019, mis en ligne le , consulté le 05 janvier 2024. URL : http://journals.openedition.org/revdh/7353 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revdh.7353

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